En finir avec l’école des braves gens

Faites des enfants, réarmez la nation !

Asséné du sommet de l’Etat par un monarque nullipare, cet étrange commandement d’un « réarmement démographique » émerge comme le fantôme d’un siècle qu’on croyait enfoui. Un temps que les moins de quatre fois vingt ans ne peuvent pas connaître. Quand la puissance d’une nation se mesurait au nombre de soldats qu’elle pouvait envoyer se faire tuer au nom du drapeau. Quand la guerre rythmait la vie du continent européen.

On le sait depuis « la guerre au virus », Emmanuel Macron aime les images martiales. Surtout pour la jeunesse : il faut de l’autorité ! Avec des jeunes déguisés en cadets de la police, saluant les couleurs au son du clairon, son « Service National Universel », bientôt obligatoire, donne une image assez fidèle du projet éducatif du couple exécutif. Pour ces jeunes déjà vieux, les enfants, surtout ceux des classes laborieuses, sont des hordes dangereuses qu’il convient de dresser.

L’esprit du temps est réactionnaire, et le président français s’en accommode très bien. Les générations qui ont avidement encaissé les dividendes de la paix, de la liberté, de l’hédonisme consumériste prétendent maintenant mettre au paix la jeunesse.

Les braves gens aiment les enfants sages. Emmanuel Macron plaît aux braves gens. Comme Marine Le Pen et ses chats. Au fond, tous deux procèdent de la même culture de l’embrigadement et du culte autoritaire pour les figures de pouvoir. Les devoirs avant les droits, le ventre des femmes au service de la nation, les enfants éduqués à la ceinture et rééduqués à coup de bagne et de colonies pénitentiaires – comme celle de Belle-Ile, dont le beau livre de Sorj Chalandon, L’Enragé, a raconté les sévices. Uniforme, sélection, sanctions, discipline… Macron ou Le Pen, c’est toujours la France du droit chemin, celle de la férule des instituteurs sévères et des blouses d’écoliers. Une France aux couleurs sépia qui fleure bon la pénitence nationale et la terre qui ne ment pas, elle.

Mais pendant que Macron nous rejoue la guerre des boutons, le monde tourne. Contrairement aux nostalgies réactionnaires, c’est d’une révolution culturelle que notre école a besoin. Le projet de « l’école des Jules » répondait aux défis de son époque. Il s’agissait de fonder la République dans les têtes et la nation dans les cœurs.

Si le projet d’émancipation et de liberté de l’école républicaine est toujours d’actualité, le reste est obsolète. Car les défis du nouveau siècle n’ont rien à voir. Il s’agit d’habiter la terre sans la détruire, d’apprendre à naviguer le champ sans cesse croissant des connaissances, de développer l’esprit humain pour dialoguer avec des machines intelligentes, d’embrasser nos interdépendances, de cultiver la conscience de notre appartenance à la biosphère et à une humanité planétaire. Apprendre à sauver le futur.

Cela passe par des mesures concrètes : l’allongement de la scolarité obligatoire pour répondre à l’inflation de connaissances, un lycée unique pour combattre le tri sélectif des élèves et relier compétences intellectuelles et connaissances pratiques, une école vraiment gratuite, pour casser le cercle vicieux de la reproduction sociale…

Santé des élèves, formation et recrutement des enseignants, bâti scolaire, refonte des programmes, les chantiers sont immenses. Ce qu’il nous faut c’est une grande mobilisation de toute la société française pour une autre école. Organiser la réunion et la rencontre des passeurs de mondes, celles et ceux qui ont à cœur de faire entrer le 21e siècle dans l’école.

R.A.