De petites phases assassines en interviews vengeresses le souffle de la désunion menace d’emporter nos efforts pour incarner l’espérance à laquelle les Français particulièrement les plus modestes, n’osent presque plus croire. Et malheureusement, leur désespoir est nourri par les contradictions, les décalages, les déconnexions de ces élus à qui ils ont confié la mission de les protéger.
L’état de nos familles politiques est inquiétant. Après avoir répondu aux attentes de rassemblement des classes populaires et moyennes pour offrir une alternative crédible à cette hydre à deux tête que sont le macronisme et l’extrême-droite, les petits jeux d’appareil et de stratégie internes semblent avoir repris le dessus. Certains y verront la fatalité du cycle électoral et de la vie des partis politiques. Pas moi.
Je suis convaincu qu’il s’agit d’un symptôme et non de la racine du mal. Tout d’abord parce que les partis politiques, même quand ils sont mus par un idéal politique clair et désirable, que ce soient l’écologie ou la justice sociale, sont devenus des coquilles vides. Jadis, ils étaient de véritables lieux de socialisation et d’apprentissage de la Cité. Mais aujourd’hui, ils se réduisent le plus souvent à des structures isolées de la société, stérilisées par de strictes logiques de conquête du pouvoir, incapables de penser et d’accompagner le changement social, encore moins d’y contribuer.
Ensuite, parce que notre vie politique, de gauche à droite, n’est plus qu’une succession de « coups » ; nos échanges démocratiques se résument à des salves de potins oiseux, plus ou moins méchants ou sarcastiques ; nos parti-pris et nos valeurs se résument à rejoindre des camps ou des écuries, le temps d’un nouveau « coup ». Nous avons laissé la politique, et la gauche en particulier, se faire absorber par les logiques du business concurrentiel, où chacun lutte pour ses parts sur le marché de la crédibilité et de l’espérance.
Nous devons avoir la lucidité collective de constater le décalage avec les aspirations profondes des gens et les urgences de la société. Abstention ou clientélisme : depuis des décennies, le fossé n’a cessé de se creuser entre la société et le politique. Le divorce démocratique est profond entre des logiques partidaires complètement déracinées qui fonctionnent en hors sol et une société active, diverse, créative mais sans illusion sur la nature et les formes du pouvoir qui s’exerce sur elle.
Et c’est là que j’aimerais vous parler de Salvador Allende.
Les différentes tendances de la gauche française ont fait d’Allende une sorte d’icône martyre pour servir les différentes histoires qu’elles aiment se raconter. Mais elles ont tendance à négliger ce qui fait la grande originalité du mouvement populaire qui a mené Allende et ses camarades au pouvoir.
Contrairement à ce que la gauche s’imagine, la leçon d’Allende et d’Unidad Popular n’a jamais été celle d’une alliance de partis derrière une figure tutélaire. Cette « unité populaire » n’était pas l’expression d’une classe sociale, ni même un mouvement social au sens strict de la taxonomie marxiste. Elle était un mouvement culturel. Une culture politique partagée entre différentes classes sociales.
Son mouvement traversait les clivages de partis, rassemblant bien au-delà de simples alliances d’appareil. Derrière les figures politiques des différentes sensibilités de la gauche, socialiste, communiste, social-démocrate, chrétienne, convergeaient des syndicats, des organisations autogestionnaires, des mouvements indigènes. C’était un mouvement culturel total, où communiaient poètes populaires, artistes, musiciens…
L’élan de transformation sociale et son programme politique d’Unité populaire ne furent rendus possibles que parce qu’il y avait, en lame de fond, la transformation culturelle. L’Unité populaire ne se fera que par et pour le peuple.
Ne l’oublions pas : la victoire culturelle précède toujours la victoire politique.
Le grand défi qui se pose à la gauche française, c’est de se remettre à l’écoute de la société, à reprendre pied dans le mouvement culturel.
Notre grand défi, c’est de redevenir l’expression d’une culture populaire.
Rodrigo Arenas