Pour Rodrigo Arenas, député membre de la commission éducation et ancien président de la FCPE, le gouvernement nourrit le concurrent principal de l’école public, l’enseignement privé. Selon lui, le « séparatisme social et scolaire n’est pas un accident. C’est une politique délibérée, inscrite dans la vision macroniste d’une société de la concurrence. Après tout, business is business, n’est-ce pas ?« . Il signe cette tribune pour le Café pédagogique.
La dynamique est nette.
Alors que le public affiche une stagnation, les formations et écoles privées poursuivent une progression constante depuis une décennie : +77% entre 1998 et 2018, et encore +10% pour 2021-2022. Intégrés en outre aux vœux de Parcoursup, grâce à la réforme Blanquer, aujourd’hui, ses établissements accueillent 25% des effectifs étudiants, et les offres de formation se multiplient et se diversifient pour répondre à une demande multiforme et en croissance constante.
Profitant des flous de la législation et d’un accès facilité au juteux contrats de formations, ce marché génère déjà 4,5 milliards d’euros. Lucratif et hautement concurrentiel, il draine une clientèle traditionnelle élevée dans les codes de l’excellence, comme les étudiants d’école de commerce ou d’ingénieurs. Et de plus en plus, des familles plus ou moins aisées à qui l’offre publique n’inspire plus assez de confiance et semble surtout rimer avec défaillances, engorgements et difficultés d’insertion sur le marché du travail.
Ce phénomène se retrouve à tous les âges de l’éducation en France. L’explosion du privé est spectaculaire. Le privé sous-contrat regroupait à la rentrée 2022 plus de 2 millions d’élèves, soit 17,6 % des effectifs scolarisés, dans un peu plus de 7 500 établissements. Le hors-contrat est en progression constante dans le premier degré. Avec actuellement 6,2 % des élèves inscrits dans le privé, ses effectifs ont presque triplé en 10 ans et enregistrent une hausse de 11,8% sur l’année dernière.
Certes cette accélération est aussi circonstancielle, liée à la crise sanitaire dont les dérèglements massifs ont souligné le besoin d’un encadrement plus étroit et plus proche des familles. Mais la tendance lourde est structurelle. C’est celle d’une fragmentation croissante de l’école publique républicaine entre trois grandes catégories. Sevrée de moyens par des pouvoirs public plus attentifs à la rigueur budgétaire qu’aux investissements d’avenir ou aux conditions d’études, l’école publique craque de partout, du bâti délabré à la crise des recrutements.
Ce n’est plus une éducation à deux mais trois vitesses.
Publiés comme un marronnier de magazine, les classements entre les établissements participent de cette pression sur les familles. Face à l’incapacité croissante du service public à tenir la promesse républicaine d’une éducation méritocratique, les familles qui en ont les moyens reportent leurs espoirs d’émancipation vers le privé. Et les plus aisées font les choix du hors-contrat, et des pédagogies alternatives et innovantes, garantes d’un épanouissement de la créativité et de l’autonomie – autant de valeurs personnelles mais aussi professionnelles. Les plus modestes, restent eux prisonniers de leur école publique délaissée. Résultat, on ne dénombre que 9 établissements publics sur les 100 meilleurs collèges en France. Et la concentration des élèves plus favorisés dans le privé est en forte augmentation, avec même une accélération depuis 2020 d’après les chiffres du ministère (DEPP).
Ce séparatisme social et scolaire n’est pas un accident. C’est une politique délibérée, inscrite dans la vision macroniste d’une société de la concurrence. Après tout, business is business, n’est-ce pas ? Depuis 2017 sans discontinuer, les choix gouvernementaux orientent les flux d’argent public vers l’enseignement privé – sournoisement, en outre, comme la réforme pour rendre obligatoire la scolarité dès l’âge de 3 ans qui avait en fait élargi aux écoles privées le financement par les collectivités.
Alors le temps n’est plus aux demi-mesures. Il est urgent d’enrayer cette dynamique de rupture de l’égalité républicaine. Les trois-quarts des financements du privé proviennent du public, Etat et collectivités.
La solution est simple : plus un euro pour le privé. Les fonds publics doivent aller à l’école publique. Comme les libéraux aiment le répéter pour justifier leurs politiques antisociales : « il n’y a pas d’alternative ».