Daech, extrême droite, même combat

Le 16 janvier 2025 dans l’Humanité

Alors que, dans le recueillement et la douleur, nous tentons depuis dix ans de surmonter les failles de nos sociétés et de répondre aux horreurs du terrorisme islamiste, le poison de la haine continue d’être distillé dans l’espace public par toutes celles et ceux qui ont intérêt à la fin de la concorde nationale.

Ils sont nombreux à se cacher derrière un hypocrite amour du drapeau, une défense agressive des valeurs civilisationnelles et une définition tronquée de la laïcité. Les dernières provocations racistes sur les femmes voilées comme étendard de l’islamisme d’un ministre réactionnaire qui professe son dédain pour l’État de droit sont venues nous rappeler que, si les terroristes sont morts, leur projet politique reste bien vivant. Car, ne nous y trompons pas, il s’agit de nous diviser et de détruire la France.

Quand, au milieu de la décennie précédente, Daech proclamait l’avènement de l’« État islamique », le califat proclamait aussi son ambition civilisationnelle : diviser le monde en opposant musulmans et non-musulmans, en particulier les Occidentaux. Tout ce qui pouvait contribuer à polariser les sociétés, à les rendre aussi intolérantes que possible pour les musulmans était bienvenu, car cela nourrissait la cause djihadiste, ici ou là-bas.

Malheureusement, cette projection conflictuelle d’un monde à la Huntington, divisé en civilisations hostiles, a fait beaucoup d’émules en dehors des islamistes. La radicalisation est toujours l’effet recherché par les terroristes : détruire la zone grise, les hésitants, les modérés, les gens de bonne volonté. Forcer chaque citoyen à prendre parti, à choisir un camp : l’extrême droite et les mouvements identitaires ont très bien reçu le message islamiste. Une alliance objective s’est dessinée.

Dans ses études, le Centre international pour le contre-terrorisme le confirme : la polarisation accompagne une radicalisation réciproque, où les identitaires nationalistes et islamistes se renforcent mutuellement, créant un climat propice à la violence. La polarisation de notre espace public, renforcée par un écosystème médiatique dysfonctionnel, contribue chaque jour à dresser des camps les uns contre les autres. Disons-le très franchement : les discours de haine et les lois qui stigmatisent les musulmans n’ont rien à voir avec la défense de la laïcité, rien à voir avec la lutte contre le terrorisme, rien à voir avec la recherche de la paix. Au contraire. Ils sont autant de victoires posthumes des assassins de Charlie. Autant de nouvelles cartouches dans les armes des djihadistes.

Chez nous, le FN a capitalisé sur des thèmes tels que l’immigration et l’identité nationale, toujours en stigmatisant les populations musulmanes. Dans un renversement odieux, le RN, héritier direct de la collaboration et du régime qui a mis en place la discrimination des juifs avant de les livrer à l’occupant nazi, a même réussi à se racheter une virginité historique. Grâce à une amnésie générale, jusque dans ses rangs, le parti fondé par l’homme du « détail de l’histoire » se pose désormais en rempart contre l’antisémitisme. Hallucinant.

Mais ce n’est que le dernier pavé sur la route de sa normalisation. Le discours du RN n’a plus rien d’exceptionnel ni même d’extrémiste, à l’heure où ses propositions de discrimination nationale se retrouvent dans une grande partie du spectre politique et de l’électorat.

Certes, Daech est moribond, et, chaque année, des dizaines de complots djihadistes sont déjoués par le travail remarquable des services français et de leurs collègues européens. Cependant, si le califat a perdu contre la coalition internationale, la menace terroriste est toujours hautement probable, comme le rappellent les spécialistes. Mais le terreau de la terreur est toujours fertile, car le travail de sape des fondements de notre pacte républicain par la violence identitaire continue.

Je veux le redire ici avec force et conviction : la stigmatisation des musulmans renforce les djihadistes. La seule réponse est dans le refus de la polarisation, la défense inconditionnelle du pacte républicain contre tous les identitaires et les radicalisés. La lutte contre la polarisation demande une vigilance et une implication au quotidien. Elle exige la même intransigeance face à l’antisémitisme que face au racisme dont sont victimes trop de nos compatriotes. Elle demande que nous fassions preuve de responsabilité collective et d’engagement citoyen pour renforcer la cohésion sociale, promouvoir le dialogue entre nous et combattre les discours qui veulent nous diviser à mort. Soyons forts : la guerre civile n’aura pas lieu !