La litanie persistante de faits divers tragiques impliquant des jeunes ces dernières années est douloureuse. Pour les familles endeuillées, pour les vies gâchées, pour les communautés touchées, l’émotion est immense, et le questionnement intense. Mais cette jeunesse à couteaux tirés dont certains médias se sont faits les vautours gourmands ne doit pas nous aveugler. Contrairement à ce que fantasme une droite conservatrice qui a toujours refusé d’admettre qu’il y ait des lectures autre qu’autoritaires de ces violences, les rixes meurtrières, les agressions physiques, les harcèlements numériques sont autant de signaux faibles qui doivent nous alerter de la présence d’un mal plus profond. Plus souterrain.
La jeunesse française traverse aujourd’hui une crise silencieuse, aiguë, existentielle, qui lui vrille le cœur et la travaille dans l’esprit et la chair. Une crise qui touche à l’intime, et qui interroge frontalement la capacité de notre République à protéger ses enfants. Dans les écoles, dans les quartiers, sur les réseaux sociaux comme dans les familles, les signaux d’alerte se multiplient : tensions violentes, explosion du mal-être psychique, accès à la santé entravé, sédentarité grandissante, anxiété sur l’avenir, angoisse sur le présent… Cette accumulation de vulnérabilités dessine une réalité inquiétante, dont les discours institutionnels peinent encore à prendre la mesure et l’urgence.
Violences sur et par mineurs
Premier lieu de socialisation, l’école est aussi le miroir des tensions qui traversent la société. Le harcèlement scolaire y demeure un fléau massif et persistant. Près d’un élève sur dix, soit environ 700000 jeunes chaque année, en est victime. Moqueries, humiliations, mise à l’écart, violences physiques ou psychologiques : les formes sont multiples et souvent banalisées. À cela s’ajoute le cyberharcèlement, qui déplace la violence hors des murs de l’établissement. En 2024, près de 20% des collégiens déclaraient avoir subi des attaques en ligne. Les réseaux sociaux accélèrent et démultiplient la portée des agressions, rendant impossible toute échappatoire. Les suicides induits par ces comportements restent heureusement à la marge des statistiques, mais ils augmentent, signalant un problème de santé et de sécurité publiques. Mais l’école n’est pas seule concernée. Dans certains quartiers populaires, les tensions entre jeunes, les rixes, parfois mortelles, ou encore les phénomènes de bandes témoignent d’une insécurité intolérable pour les jeunes concernés et pour les résidents. Certes, la plupart de ces phénomènes n’ont rien de vraiment nouveau : les trafics criminels, les bandes violentes et la délinquance des mineurs ne datent pas des réseaux sociaux — mais, l’âge moyen des jeunes concernés s’abaisse de façon inquiétante. Si ces violences restent très minoritaires, elles marquent cependant les esprits par leur brutalité et leur médiatisation.
À cela s’ajoute une défiance profonde envers les institutions, notamment les forces de l’ordre, perçues comme agressives ou discriminantes par une partie de la jeunesse. Les contrôles d’identité répétés, les interpellations brutales, les violences policières réelles ou ressenties participent d’un sentiment d’injustice qui mine le lien social. Enfin, les violences intrafamiliales touchent un nombre alarmant d’enfants et d’adolescents. Près de 160 000 mineurs vivent dans un foyer où des violences conjugales ont été signalées. Ces jeunes, souvent invisibles, développent des troubles affectifs durables, parfois irréversibles. Ils sont les premières victimes d’un silence collectif.
Santé mentale : crise silencieuse, souffrances massives
Derrière les portes fermées des chambres d’ados, dans les couloirs du collège ou du lycée, se joue une autre forme de détresse : celle de la santé mentale. Selon l’INSERM, près d’un tiers des adolescents présentent des signes de souffrance psychologique. Crises d’angoisse, troubles du comportement alimentaire, idées noires, automutilations : les formes d’expression du mal-être sont de plus en plus précoces et intenses. La pandémie de COVID-19 a agi comme un accélérateur, mais le mal est plus ancien. La jeunesse d’aujourd’hui est confrontée à un double paradoxe : jamais elle n’a eu autant de moyens de « communiquer » — et jamais elle ne s’est sentie aussi isolée. Le sentiment d’inutilité, la peur de l’avenir, l’épuisement scolaire ou la pression sociale pèsent lourd. L’engagement collectif, les activités sportives, culturelles, ludiques, qui peuvent jouer un rôle d’équilibre, sont trop souvent absents du quotidien. Face à cette crise, la prise de conscience de la puissance publique aura été tardive. Et les moyens publics sont dramatiquement insuffisants. Il y a en moyenne un psychologue scolaire pour 1 500 élèves, quand l’UNICEF recommande un ratio de 1 pour 500. L’accès à un pédopsychiatre peut prendre plus d’un an dans certaines régions. Les centres médico-psychologiques (CMP) sont débordés, les services de santé scolaire presque invisibles. Résultat : des milliers de jeunes restent seuls face à leur souffrance, et les enseignants eux-mêmes, en première ligne, n’ont ni la formation ni les ressources pour y répondre.
Santé physique : sédentarité, précarité, addictions La santé physique des jeunes est aussi un sujet d’inquiétudes.
En 2024, un enfant sur cinq en France est en surpoids ou obèse. La sédentarité progresse, aggravée par le temps d’écran et la baisse de l’activité physique régulière. Dans les milieux défavorisés, l’accès au sport encadré est souvent restreint, faute de structures, de moyens ou d’offres gratuites. Mais le plus grave facteur réside sans doute dans l’alimentation. Il y a d’une part la précarité alimentaire qui pousse nombre de familles vers des produits ultra-transformés, riches en sucres, en gras et en sel, au détriment d’une alimentation équilibrée. Cette réalité a des conséquences directes sur la santé des jeunes, mais aussi sur leur concentration, leur humeur, leur capacité à apprendre. Et d’autre part la faillite des dispositifs de prévention et d’éducation, qui livrent les familles aux ravages publicitaires de l’agro-alimentaire. Les inégalités sociales se traduisent aussi dans l’accès aux soins : les déserts médicaux s’étendent, même en zone urbaine. Les consultations non remboursées, comme les soins dentaires, ophtalmologiques ou psychologiques, deviennent un luxe pour certains. De nombreux jeunes majeurs perdent toute couverture santé en sortant du système scolaire, faute de démarches ou d’accompagnement. Enfin, la question des addictions s’impose avec acuité. L’expérimentation précoce de l’alcool, du cannabis, et plus récemment des cigarettes électroniques parfumées (puffs) est en forte hausse. Ces produits, très accessibles, très attractifs, fragilisent des corps encore en développement, et souvent en quête de repères ou de compensation.
Une jeunesse fragilisée, une République interpellée
Ce tableau n’est pas une fatalité. Mais il exige une réponse à la hauteur du défi. Les violences que subissent les jeunes ne sont plus des « faits divers » : elles sont le symptôme d’un abandon progressif. Le mal-être n’est pas un problème individuel, il est collectif. Et la santé, qu’elle soit mentale ou physique, ne peut être laissée au marché ou à la débrouille. Réinvestir dans la jeunesse, c’est aujourd’hui une urgence sociale, sanitaire, éducative, mais aussi démocratique. Car une République qui ne protège pas ses enfants est une République qui meurt. Les propositions qui suivent se concentrent principalement sur l’école.
Parce qu’il faut commencer quelque part, et que c’est bien entendu à l’école de la République que se retrouvent les enfants. C’est là qu’ils passent une partie, parfois démesurée, de leur temps et que se forgent leur forces aussi bien que se révèlent leurs fragilités. C’est surtout le lieu où la puissance publique peut intervenir, en offrant aux plus jeunes et aux familles un cadre sécurisé et protecteur dans lequel les enfants peuvent se développer en confiance et s’épanouir. C’est aussi à partir de l’école que peuvent se décliner les autres interventions sur la santé, la socialisation, et le bien-être. Mais ce n’est qu’un jalon. Il faut faire plus, mieux, plus vite et plus en profondeur. Il y a urgence. La santé de notre jeunesse est en jeu. Et avec elle, notre avenir à tous.
Pour un environnement sûr et sans violence au sein de l’Ecole
AUJOURD’HUI : ACCOMPAGNER
- Assurer l’encadrement de tous les élèves en période d’examens Les collégiens et lycéens qui ne passent pas d’examens terminent leurs cours dès le début du mois de juin. Il est nécessaire d’encadrer ces élèves jusqu’à la fin de l’année scolaire d’une part pour qu’ils poursuivent leurs apprentissages et d’autre part pour qu’ils ne soient pas livrés à eux-mêmes sans aucun encadrement.
- Offrir des vacances à ceux qui n’en ont pas Parce que la violence sociale frappe aussi la jeunesse, il est important de mettre en œuvre des mécanismes qui en limitent l’impact dès à présent. Créer un budget vacances et loisirs pour les élèves les plus précaires, dès l’été 2025, permettant l’accès gratuit à des activités encadrées dans les quartiers et les communes (animations dans les parcs, ateliers, maisons de quartier…). Ce qui permettra la découverte et la valorisation d’activités en plus de favoriser une cohésion de groupe. Aujourd’hui, seules les communes les plus riches peuvent proposer ces activités à leurs jeunes habitant.es. Les aides d’Etat sont encore insuffisantes (Pass colo, AVF…).
- Rendre le sport accessible à tous les jeunes pendant l’été Garantir l’ouverture gratuite des équipements sportifs municipaux aux mineurs en été, en lien avec les clubs et associations, pour encourager la pratique et renforcer l’inclusion. Comme les JOP 2024 ont permis l’investissement des jeunes dans les pratiques sportives, il s’agit alors de renouveler ces pratiques.
- Favoriser la mobilité des jeunes l’été Prolonger et élargir le Pass Rail, vers une gratuité progressive des transports estivaux pour les jeunes, afin de lever les freins à la mobilité et à l’autonomie. La mobilité permettra aux jeunes d’avoir accès aux loisirs, par exemple en passant une journée en ville, ou en nature, à la plage ou au musée…
DEMAIN : PRÉVENIR
- Instaurer des cercles de parole en classe sur les violences scolaires Mise en place d’espaces de dialogue qui doivent être animés et encadrés par des médiateurs formés, afin de permettre aux élèves d’échanger librement dans un cadre de confiance. C’est ainsi prévenir et alerter les élèves sur ces dangers.
- Faire intervenir des associations spécialisées dans les établissements Renforcer et promouvoir les actions de prévention par des partenariats avec des associations expérimentées dans la lutte contre les violences scolaires et urbaines, comme l’association SADA. La parole de ces associations est clé en ce qu’elle est soutenue par une expérience de terrain qui peut davantage intéresser et marquer les jeunes.
- Utiliser les outils audiovisuels pour sensibiliser Lors de réunions hebdomadaires avec tous les élèves et tous les enseignants d’une classe, diffuser de courts documentaires de prévention, comme la série Rixe (france.tv slash), accompagnés d’un échange pédagogique afin de soulever les différentes problématiques liées aux violences. Le format « série » permet de développer une attache au récit et ainsi d’inciter une mémoire plus forte.
- Renforcer la prévention du harcèlement sous toutes ses formes Mettre en place une stratégie renforcée de prévention du harcèlement scolaire, incluant à la fois le harcèlement entre élèves et le ressenti de harcèlement entre élèves et personnels éducatifs. Cela implique une formation systématique des équipes pédagogiques à la détection des signaux faibles, la création d’espaces d’écoute accessibles aux élèves, ainsi qu’un protocole clair de signalement et de traitement, adapté à chaque situation. Des enquêtes doivent être menées au sein des établissements dès le signalement de la moindre violence : les équipes pédagogiques doivent intervenir au premier mot ou geste violent. Chaque école, collège ou lycée doit adopter un plan détaillé des mesures prises pour empêcher le harcèlement. L’enjeu est d’installer une culture scolaire du respect mutuel et du dialogue.
APRÈS-DEMAIN : REPENSER L’ÉCOLE
- Faire de la santé mentale des enfants une priorité nationale Renforcer significativement la présence de psychologues scolaires pour atteindre l’objectif d’un psychologue pour 500 élèves, conformément aux recommandations de l’UNICEF, et garantir un suivi réel et régulier du bien-être des enfants.
- Associer les parents à la prévention des violences scolaires Donner une place aux parents dans l’élaboration des politiques publiques de prévention, en reconnaissant leur rôle clé et en intégrant leurs besoins et propositions. C’est par le dialogue que pourra se résoudre la violence.
- Construire une école plus horizontale et inclusive Le système élitiste mis en place par l’Ecole doit être progressivement remplacé par une Ecole de l’entraide, du compromis, du partage d’expériences et de connaissances. Cela passe aussi par la suppression des notes et leur remplacement par des certifications (qui évaluent les connaissances acquises). Il est tout aussi essentiel de responsabiliser les jeunes, de sortir des logiques de mépris que l’Ecole véhicule : par exemple en faisant dès à présent participer les jeunes, dès le plus jeune âge, à la vie de l’Ecole (faire la cuisine, distribuer la nourriture, faire le ménage…), et sur un temps plus long en cessant de séparer les savoirs utilitaires des connaissances abstraites.
- Renforcer les équipes éducatives dans les quartiers prioritaires Déployer des équipes pluridisciplinaires dans les ASE et quartiers prioritaires pour prévenir les ruptures, accompagner les jeunes, soutenir les familles et éviter les logiques d’escalade.
- Privilégier les réponses éducatives aux interventions policières Mettre en place des unités mobiles éducatives capables d’intervenir en prévention ou en réponse aux tensions, dans une logique de médiation et de gestion non violente des conflits.
- Soutenir l’engagement écologique et citoyen des jeunes Financer les associations qui impliquent les jeunes dans des actions concrètes pour l’environnement, afin de renforcer leur sentiment d’utilité, leur participation citoyenne et leur responsabilité collective.