Loin des commentaires superficiels qu’elles ont suscités sur l’effrayante montée de l’extrême-droite ou l’échec des politiques vertes, les élections allemandes portent quelques enseignements utiles à la gauche française. Le premier est assez évident, c’est l’utilisation intelligence et efficace des canaux des réseaux sociaux, sur lesquelles les jeunes générations s’informent. Heidi Reichinnek, co-leader de Die Linke, a su capter cette audience grâce à des vidéos devenues virales dénonçant la politique du CDU et de l’AfD sur l’immigration et le logement. Ce qui souligne l’importance de l’incarnation à l’heure de la saturation informationnelle et de la confusion idéologique.
Mais le deuxième, et le plus crucial, c’est combien la crise du logement est un enjeu majeur qui façonne le paysage politique, notamment auprès des jeunes générations. Face à l’explosion des prix de l’immobilier, à la pénurie de logements abordables et à la précarisation croissante des jeunes, le logement est devenu une priorité politique incontournable.
En 2023, l’Allemagne faisait face à un déficit estimé entre 700 000 et plus d’un million de logements, selon diverses évaluations. Une pénurie structurelle qui se traduit par une hausse brutale des loyers dans les grandes villes (40% à Berlin, 32% à Leipzig ou 21% à Cologne). Mais cette problématique dépasse la seule Allemagne. C’est un phénomène européen, de Berlin à Zagreb, de Dublin à Madrid.
Selon Eurostat, plus de 40 % des jeunes âgés de 18 à 34 ans vivent encore chez leurs parents, faute de pouvoir se loger décemment. Au Royaume-Uni, le coût du logement absorbe une part croissante du revenu des jeunes, rendant l’accès à la propriété quasi impossible sans aide familiale. En Irlande, le prix moyen d’un logement a augmenté de plus de 130 % depuis 2013. Et à Dublin, les loyers dépassent désormais 2 000 € par mois, soit l’équivalent du salaire net de nombreux fonctionnaires. Avec une augmentation de près de 30 % en cinq ans à Madrid, les locataires madrilènes consacrent désormais en moyenne près de 60 % de leurs revenus au loyer. En Croatie avec une augmentation des prix immobiliers de l’ordre de 80 % au cours de la dernière décennie, qui ont conduit entre autres à des vagues d’évictions traumatisantes pour la population de Zagreb.
Inévitablement, cette crise se traduit dans les urnes, au détriment des partis traditionnels en échec sur ce sujet. Ainsi, en Croatie, c’est le parti écologiste Mozemo, issu du mouvement « Zagreb c’est nous » qui a conquis la mairie de Zagreb. Le Sinn Féin à Dublin, Le parti Pirate à Prague ou Brno ou les libéraux de l’USR à Bucarest ont aussi bénéficié de cette dynamique contestataire autour du logement. En Allemagne, lors des élections fédérales du 23 février, c’est la gauche de Die Linke qui a su capitaliser sur cette question, en faisant du logement son cheval de bataille. En difficultés depuis la sécession de Sarah Wagenknecht sur une ligne très souverainiste, prorusse et antimigrants, Die Linke a cependant réussi à se repositionner en se concentrant sur ce sujet du logement qui préoccupe directement les jeunes. Car la crise du logement n’est pas qu’un problème de loyer : elle conditionne l’accès à l’emploi, l’autonomie financière et même la possibilité de s’installer avec leur partenaire et fonder une famille.
Mais ce choix de la nouveauté alimente aussi les démons de l’Europe : l’exigence d’une radicalité en réponse aux difficultés pousse aussi l’électorat des plus jeunes vers les mouvements d’extrême-droite. Heureusement, 25% des Allemands âgés entre 18 et 24 ans ont voté pour Die Linke, mais 20% d’entre eux ont préféré l’AfD. Une tendance là aussi européenne. Pire, on y retrouve la polarisation croissante qui oppose les choix émancipateurs et progressistes des jeunes femmes aux pulsions réactionnaires et fascisantes des jeunes hommes.
La crise du logement est ainsi devenue un marqueur de la polarisation politique en Europe. Elle illustre les difficultés auxquelles sont confrontées les jeunes générations et leur exaspération face à l’inaction des gouvernements et des partis traditionnels. Si aucune solution concrète n’est mise en place pour rendre le logement accessible, la montée de l’extrême-droite risque de se poursuivre – et il n’y aura pas assez de jeunes électrices pour compenser le basculement.
Une réduction des prix des loyers, premières dépenses contraintes des familles, doit être une priorité pour notre capitale lors des prochaines années. Garantir un logement décent à tous, par une répartition plus équitable de ceux qui existent déjà, est possible à condition de s’attaquer aux logements vides et aux meublés touristiques à Paris.