Tribune de Rodrigo Arenas parue dans l’humanité le 3 novembre 2023
C’est devenu une lancinante litanie publique : notre école est malade. Derrière le triomphalisme malvenu des ministres, il y a l’implacable bilan d’un recul général, y compris dans les classements internationaux. Mises à nu par la crise sanitaire, les faiblesses de notre éducation nationale exigent des réponses à la hauteur des urgences.
Ce que les études et les experts nous disaient déjà régulièrement depuis des décennies, un virus disruptif nous l’a hurlé haut et fort : la méritocratie républicaine est un mythe. Reposant sur l’illusion de l’égalité des chances, et validée en apparence par quelques exceptions célèbres, elle n’est en fait qu’une formidable machine à broyer les destins pour produire de la distinction – entre bons et mauvais élèves, entre citoyens inclus et citoyens exclus, entre ceux qui ont les codes culturels dominants et ceux qui ne peuvent même pas y avoir accès. Il est désormais urgent de repenser l’ensemble du système scolaire pour qu’il tourne le dos définitivement à l’exclusion. Avec ce lycée pour toutes et tous et non pour quelques uns, il s’agit de renouer les fils du tissu social rompus par la sélectivité d’un modèle élitiste. Il repose sur quatre mesures reliées entre elles.
La première est celle d’un allongement de l’obligation scolaire jusqu’à la majorité légale de 18 ans, pour
élever le niveau général de notre jeunesse et s’assurer que tous les jeunes, quels qu’ils soient, bénéficient d’une formation générale et professionnelle. Cela permettra ainsi de réinsérer dans le parcours scolaire les cabossés de la sélection, toutes celles et ceux qui se sont retrouvés, un jour, écartés par un modèle conçu comme une pyramide, dont les scientifiques des « grandes écoles » forment la pointe et les laissés-pourcompte de l’alternance professionnelle la base.
Deuxième mesure : dans ce lycée unique, tous les élèves suivront un nouveau tronc commun élargi, combinant à parts égales et avec la même « valeur » les disciplines académiques traditionnelles et
les savoirs interdisciplinaires articulés sur les pratiques sociales et professionnelles. Cet équilibre est fondamental pour combattre l’obsession très française du tri sélectif et de la hiérarchie des filières.
Bien entendu, et c’est la troisième mesure, ce tronc commun devra être complété par une spécialisation. Qu’elle soit académique ou technique, elle permettra aux élèves de se construire un profil personnel articulé à une maîtrise de savoirs généraux partagés.
Enfin, la dernière mesure, consiste à faire du baccalauréat la condition commune et unique d’entrée dans l’enseignement supérieur, que ce soit dans les filières universitaires, techniques ou professionnelles. Mais c’est un bac radicalement repensé, débarrassé d’un contrôle continu inefficace et angoissant et des calculs stratégiques de bachotage en fonction des coefficients, organisé en unités de valeur correspondant pour moitié au tronc commun et pour l’autre aux spécialités, qui devront toutes être validées. Il s’agit de renverser le modèle d’excellence à la française: celui d’une pyramide scolaire cautionnant la pyramide sociale. Il s’agit de permettre aux étudiants des filières professionnelles de ne plus subir la discrimination au diplôme dans leur embauche et leur évolution de carrière. En intégrant les parcours professionnels dans un « lycée unique », on éduque aussi la société et le monde du travail, des employeurs et des ressources humaines, à dépasser les représentations simplistes qui distinguent les « métiers manuels » des « métiers intellectuels », affectent et classent les individus en fonction de la valeur supposée de leurs diplômes.
On aura reconnu dans cette perspective de lycée pour toutes et tous la combinaison des qualités de deux systèmes éducatifs de nos voisins de l’Union européenne. Au système allemand, il s’agit d’emprunter sa capacité à valoriser l’enseignement technique et professionnel, ce qui est d’autant plus nécessaire face aux enjeux industriels des transitions numériques et écologiques. Au système finlandais, qui domine les classements de l’OCDE, il s’agit d’emprunter une vision de l’éducation où l’attention à la construction du collectif s’articule au souci d’accompagner au mieux chaque élève dans son itinéraire, et où la fluidité des parcours lève les obstacles actuels aux réorientations et bifurcations inévitables pour des jeunes en construction