La psychanalyse l’affirme : pire qu’un crime, l’inceste est un tabou. Un interdit majeur. Freud le pensait universel. Pourtant, aujourd’hui, en France, l’inceste n’est même pas un crime. Il est au mieux une infraction quand il s’exerce à l’encontre d’un mineur de plus de 15 ans et il se traduit par une aggravation d’une peine lorsqu’il y a viol ou agression sexuelle. Comment comprendre que la norme sociale condamne l’inceste tout en ne l’interdisant pas clairement dans ses textes de loi
Car il faut le savoir, dès lors qu’un enfant a atteint sa majorité sexuelle, à plus de 15 ans, s’il consent à avoir une relation sexuelle avec son père, sa mère, son frère, sa sœur, son oncle, sa tante… la société se contentera de punir l’adulte pour « atteinte sexuelle », devant un tribunal correctionnel et non pas devant les assises. Bien sûr, depuis 2018, la loi a progressé puisqu’elle parle de « relation incestueuse » et revient sur le consentement des mineurs de plus de 15 ans… et nous revenons de loin puisqu’il y a à peine 50 ans un Michel Foucault n’hésitait pas à militerpour dépénaliser les relations consenties entre adultes et mineurs de moins de quinze ans !
Pour autant, si chacun veut libérer la parole des enfants, il faudrait peut-être commencer par nommer clairement l’inceste et savoir qu’il est condamnable en tant que tel. Or il ne l’est pas. Car si la loi reconnaît aujourd’hui le viol ou l’agression incestueuse, elle ne condamne pas l’inceste en lui-même : les adultes consentants ont tout à fait le droit de s’adonner à une relation incestueuse entre eux, et un adulte ayant une relation sexuelle consentie avec un jeune de plus de 15 ans sur lequel il exerce une autorité ne commettra pas un crime, mais seulement une infraction, beaucoup moins sévèrement punie. Quant aux agressions et viols, ils sont condamnés en tant que tels, la relation incestueuse n’étant qu’une notion aggravante. Pourtant, pour rendre plus facile la parole de l’enfant, ne faudrait-il pas commencer par être plus précis ? Comme le disait Nicolas Boileau « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément ». Sans doute faudrait-il inverser la problématique : l’interdit que représente l’inceste serait plus compréhensible si cette relation devenait systématiquement un crime, condamné comme tel, aggravé par les circonstances que sont les viols, les agressions sexuelles et l’âge de la victime au moment des faits. Cela aurait aussi pour effet de limiter l’importance des débats, insupportables pour les victimes, sur le consentement ou pas, la pénétration ou pas…
Mais nous le savons, la lutte contre l’inceste, véritable fléau de notre société puisque la moitié des violences sexuelles commises sur des enfants le sont par un membre de la famille, doit s’accompagner d’autres mesures. Les enfants peuvent apprendre à se défendre de la prédation sexuelle des adultes et à la dénoncer. Où ? A l’école. Cela est nécessairement un apprentissage qui se fait en dehors, ou en sus, du domicile familial. Apprendre que l’inceste est interdit ne peut se faire dans une famille où on le commet ! Il ne peut pas non plus se comprendre dans un environnement qui ne maîtrise pas certains codes de communication entre enfants et adultes. Il faut donc que dès leur plus jeune âge, dès la maternelle, les petits apprennent le droit des enfants, apprennent aussi comment ils peuvent se défendre des agresseurs, et qu’ils suivent pour cela des cours spécifiques adaptés à leur degré de maturité tout au long de leur scolarité.
Mais ce n’est pas tout. Il n’y aura pas d’incantation magique : le gouvernement ne peut se contenter de promettre « plus de sensibilisation » et, surtout, il ne peut faire reposer cette tâche uniquement sur les enseignants. Ils ne peuvent remplacer des médecins, pédopsychiatres ou psychologues : ce sont des personnels de l’Education nationale spécifiquement formés qui doivent endosser cette responsabilité. C’est pourquoi si tous les enfants étaient systématiquement écoutés par ces professionnels, à certains moments clés de leur scolarité comme lors de leur entrée au CP et en 6e, certaines histoires pourraient enfin se raconter. Il est nécessaire d’organiser ces moments d’écoute : d’une part parce que les personnels médicaux pourront détecter plus aisément certains cas de violences subies par les enfants, et d’autre part parce que les agresseurs sauront aussi qu’il leur sera plus difficile de passer au travers des mailles du filet !
Si nous voulons, collectivement, protéger nos enfants et ceux des autres, nous allons devoir débloquer des moyens importants… et faire les bons choix de société. Maintenant !
Rodrigo Arenas&Nathalie Laville.