Après les récentes polémiques sur la FCPE, « Marianne » s’entretient avec le président de l’organisation de parents d’élèves, qui vient de quitter ses fonctions mais reste porte-parole. Loi de 2004, port de signes religieux, écoles confessionnelles, etc. : échange sans concessions autour de la laïcité.
En avril, des personnalités publiques, des adhérents et des sympathisants de la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (FCPE) publiaient dans Marianne un appel pour une « FCPE laïque et sociale ». Reprochant à la direction nationale sa « focalisation sur les questions identitaires, au détriment d’enjeux fédérateurs, comme la qualité de l’enseignement ou la mixité scolaire et sociale ».
Quelques mois plus tôt, en octobre 2019, une affiche de campagne de l’association de parents d’élèves qui mettait en scène une femme voilée accompagnant une sortie scolaire avait fait réagir jusqu’à Jean-Michel Blanquer, s’inquiétant que « des organisations essayent de flatter le communautarisme pour avoir des voix ». En janvier dernier, Jean-Pierre Obin comparaissait au tribunal après une plainte pour diffamation du président de la FCPE. L’ancien inspecteur général de l’Éducation nationale avait affirmé dans son livre que l’organisation était entrée dans « l’orbite islamo-gauchiste ». Dernière controverse en date, ce week-end, après la publication d’un tweet, retiré depuis, relayant des propos de la coprésidente de l’organisation sur l’assassinat de Samuel Paty.
Marianne met tous ces sujets sur la table et s’entretient avec Rodrigo Arenas, ancien coprésident, désormais porte-parole de la FCPE.
Marianne :Commençons par les bases. Comment définissez-vous la laïcité ?
Rodrigo Arenas : La laïcité c’est la loi de 1905, point barre. Et les lois qui y sont afférentes dont la loi de 2004 qui interdit aux enfants de porter des signes ostentatoires à l’école. La laïcité, c’est la loi. La FCPE défend l’école de la République et donc les lois de la République.
Considérez-vous qu’aujourd’hui la laïcité est menacée à l’école ? Dans une récente enquête de la Fondation Jean Jaurès 80 % des enseignants interrogés affirmaient avoir déjà été confrontés au moins une fois au cours de leur carrière à une revendication liée à des croyances ou des pratiques religieuses.
Entre faire ce constat-là et dire que la laïcité est menacée, il y a un raccourci intellectuel qui n’est vraiment pas juste. De quoi parle-t-on ? Est-ce des enfants qui refusent de suivre un cours, un point de programme au nom d’une religion quelle qu’elle soit ? Est-ce que ça porte atteinte au bon fonctionnement de l’école ? Ce sont des phénomènes minoritaires. Mais c’est illégal. Les parents n’ont pas à interdire à leurs enfants, en général essentiellement des jeunes filles, de participer à des cours. Je dirais aussi qu’éviter le sport était déjà assez répandu il y a 40 ans.
Vous l’avez mentionnée plus haut, quelle est votre position précise sur la loi de 2004 ?
C’est juste un appendice de la loi de 1905. C’est la continuité réglementaire de dire qu’un enfant ne peut pas venir à l’école avec un signe ostentatoire. Indépendamment de ses convictions intimes on ne doit pas venir à l’école dans une position prosélyte ou affirmer une religiosité. Mais la loi n’est rien si on n’éduque pas. Notre fédération demande depuis de longues années à ce que le droit et la philosophie soient enseignés dès la maternelle. La laïcité c’est une démarche philosophique.
Donc vous admettez que la laïcité n’est pas seulement constituée de lois, c’est aussi une philosophie.
C’est d’abord un principe philosophique. Une fois qu’on a accepté le principe en soi, il devient une loi, un principe de droit. Il faut l’enseigner. Quand vous avez des parents qui viennent de pays où la séparation des Églises et de l’Etat n’est pas évidente, c’est un outil d’intégration que de l’enseigner.
Dans ce cadre, quelle est votre position sur le fait de montrer aux élèves des caricatures, comme celles de Charlie Hebdo ?
Le blasphème n’est pas illégal dans notre pays. Quand un enseignant sous l’autorité d’un chef d’établissement veut utiliser les caricatures de Charlie Hebdo, du Figaro, ou de l’Humanité car il veut parler de la liberté de la presse, évidemment qu’il faut les montrer. La question n’est pas de choquer, c’est un acte éducatif. Quand on apprend à une enfant que la terre est ronde, et que dans sa famille on pense qu’elle est plate, ça se prépare. Quand vous supposez que des élèves peuvent être choqués, on peut prévenir les parents. Nous aussi on peut soutenir le prof. Par exemple, à Villepinte des parents voulaient interdire l’entrée à un enseignant car il mettait du vernis sur ses ongles. Ce sont les parents d’élèves de la FCPE qui ont demandé à ces parents de quoi ils se mêlaient. Résultat des courses, les parents ont dû baisser pavillon.
Pour en revenir aux caricatures, si un parent refuse, comment fait-on ?
Ça s’appelle la loi. Si des parents décident que l’enseignement de l’école publique française ne convient pas aux principes de vie qu’ils veulent inculquer à leurs enfants, il y a les écoles privées confessionnelles. Et c’est une question qui se pose en France de savoir si on peut continuer à financer des écoles confessionnelles qui expliquent aux enfants que la religion est formidable.
Que répondez-vous à ça ?
La réponse de la FCPE est que non, les moyens financiers publics doivent aller pour l’école publique. En quoi Jean-Michel Blanquer est-il laïque quand il fait un détournement de fonds pour financer dès 3 ans des écoles pas laïques ? En quoi est-ce laïque quand dans une école publique on met un mot aux enfants pour leur expliquer qu’après l’école ils peuvent faire bénir leurs cartables ? Où sont tous les champions de la laïcité à ces moments-là ? On se bat dans le Morbihan pour faire en sorte que les gamins puissent avoir la possibilité d’aller à l’école publique. Pourquoi on nous emmerde nous ?
L’appel du 2 avril vous reprochait par exemple d’être silencieux sur l’affaire Mila.
C’est un mensonge. Quand l’affaire Mila est sortie j’étais sur un plateau BFM TV, on m’a posé la question. J’ai dit clairement que la place de cette élève était à l’école publique et que la République devait mettre les moyens.
Mais pourquoi avoir attendu jeudi pour faire un communiqué sur le sujet, se félicitant « que le tribunal de Paris ait reconnu la culpabilité de 11 personnes ayant participé au harcèlement en ligne » de Mila ?
On ne commente pas une affaire en cours.
Sans être nécessairement opposé au port du voile par des accompagnatrices scolaires, faire figurer un voile sur une affiche n’est-ce pas une façon de contribuer à faire du voile le porte-étendard des musulmans ? Ou du moins d’en faire la promotion ?
La campagne d’affichage qui a eu lieu étayait des droits des parents qui étaient bafoués, je veux dire par là celui des mamans de faire des sorties scolaires. On est contre l’invisibilisation. Ces mamans sont les bienvenues à l’école publique, plutôt qu’elles aillent à l’école privée musulmane. La FCPE défend le droit de tous les parents. Si un parent vient avec une kippa, une croix ou un turban, il a le droit d’accompagner une sortie scolaire. Et si l’ordre est bafoué nous les défendrons.
Considérez-vous que l’islam politique est une menace pour l’école ?
Nous pensons que tous les intégrismes sont des menaces pour l’école. Est-ce que l’école s’en défend parfaitement ? Oui. Il ne me semble pas que l’école soit soumise à une religion. Mais on a l’impression de découvrir un truc. Rappelez-vous Christine Boutin qui brandit une bible à l’Assemblée nationale. Et il y a plus de 30 ans, le cinéma Saint Michel explosait par ce qu’on y passait le film La dernière tentation du Christ. Qu’il y ait un débat de société, oui, mais dans ce qui remonte des parents ce n’est pas réellement une préoccupation.
De récentes enquêtes d’opinion montrent que les lycéens ou les jeunes ont un rapport différent à la laïcité des autres générations. En particulier le sondage de l’IFOP avec la Licra publié le 3 mars indiquait que « le port de signes religieux ostensibles (voile, kippa…) par les élèves dans les lycées publics s’avère soutenu par plus d’un lycéen sur deux (52 %) ».
Il y a un problème culturel. L’essentiel des médias que consomment mes gamins porte une vision anglo-saxonne. L’école est précisément là pour éduquer et former, pour éveiller les consciences. La jeune génération regarde ce qui se passe dans les autres pays où tout cela n’est pas un sujet. Il y a une forme de basculement culturel. Nous combattons cette vision.
Vous combattez la vision à l’anglo-saxonne ?
Nous nous inscrivons dans le cadre de la loi. Nous défendons la loi de 2004. Et se pose la question de savoir comment on la transmet aux enfants.
Vous défendez donc une vision universaliste à la française ?
Évidemment. Nous défendons la vision de la laïcité du rapporteur de la loi de 1905, Aristide Briand, c’est-à-dire la séparation des Églises et de l’État.
Ce week-end un tweet qui relayait des propos qu’aurait tenus votre coprésidente Carla Dugault au cours d’un discours a fait polémique. « L’atroce assassinat de Samuel Paty a démontré avant toute chose que l’école telle qu’elle est, ne répond plus collectivement à faire vivre la laïcité et des échanges pacifiés dans la communauté éducative » pouvait-on lire. Certains y ont vu une façon de désigner l’école comme responsable, au lieu de l’islamisme. Quel est le sens de cette phrase ? Et pour être clair, quel est le responsable de l’assassinat de Samuel Paty ?
Ce tweet dit que la communauté éducative n’était pas prête à ça. Sinon pourquoi l’Éducation nationale voudrait-elle former les enseignants à la laïcité ? C’est un problème qu’un père de famille ait appelé à une mobilisation contre un enseignant, c’est illégal. Personne n’imaginait deux secondes qu’un enseignant pouvait être décapité. Notre représentante locale avait prévenu les renseignements généraux.
Et qui désignez-vous comme responsable ?
Le premier responsable c’est l’intégrisme islamiste terroriste. On ne peut pas imaginer autre chose. Qu’on nous accuse d’autre chose je trouve que c’est calomnieux. Évidemment que Samuel Paty a été victime de l’islam terroriste.
Je ne crois pas que les valeurs de la République soient en danger. Mais est-ce qu’il y a un problème avec des prédicateurs musulmans ? La réponse est oui. L’islamisme représente un danger pour l’intégrité physique de nos citoyens. C’est un problème de police. Quand vous avez des mosquées qui embrigadent des enfants, il faut intervenir. Nous n’avons aucune complaisance avec ça.
D’après l’ancienne proviseure Catherine Manciaux au procès de Jean-Pierre Obin, vous compariez à une époque les longues robes noires portées par les lycéennes aux tee-shirts du Che que vous arboriez dans votre jeunesse. Véridique ?
Cela rappelle une discussion très ancienne, sortie de son contexte. La laïcité exclut le prosélytisme religieux, politique, commercial. Que des parents affichent dans le cadre de l’école des signes religieux, des signes politiques ou des signes commerciaux, je le mets sur le même plan. Il me semble par ailleurs que Guevara a été reconnu comme un terroriste international. Depuis ma jeunesse j’ai évolué.
Porter un tee-shirt Che Guevara quand on est jeune, c’est la vraiment la même logique que de porter des vêtements religieux quels qu’ils soient ?
Je vous invite à vous rapprocher de la communauté latino-américaine. Et vous verrez le poids de la figure de Che Guevara.
Aussi, on m’accuse d’être un « islamo-gauchiste ». Ce qui voudrait dire que j’aurais un lien avec les radicaux islamistes. Celles et ceux qui le prononcent ne sont pas dans la capacité de le prouver. Parce que c’est faux. Et le tribunal a été clair, il a été dans l’incapacité de prouver que je suis un « islamo-gauchiste ».
Au procès de Jean-Pierre Obin, vous avez été débouté…
On a été déboutés sur la partie diffamation. On a peut-être commis une erreur avec mon avocat. Peut-être aurait-on dû aller sur le champ de la calomnie. Mais ils sont dans l’incapacité de prouver que j’ai des liens avec une organisation islamiste radicale.
Comment peut-on retrouver un débat plus apaisé sur la laïcité ?
On pense que l’école est le seul lieu en France où on peut dépassionner car ces débats y sont enseignés sous l’angle de la raison. Je dis toujours qu’il y a deux chemins, celui de Malcolm X et celui de Martin Luther King. Quand on est jeune on peut prêter crédit à Malcolm X dans sa jeunesse parce qu’il y a cette impatience de la jeunesse. Le chemin de Martin Luther King est plus long, c’est ce chemin-là dont l’humanité a besoin. L’éducation, c’est le temps long.