Le Parisien de ce samedi, déjà sur le Net ce vendredi soir
Par Christel Brigaudeau, le 9 octobre 2020 à 15h46
Les familles sont appelées à élire vendredi et samedi leurs représentants au sein des établissements scolaires. Nous avons rencontré le coprésident de la principale fédération de parents d’élèves du public. Un chef engagé, au verbe haut.
« Je suis un simple parent d’élève », assure Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE,
Et voilà qu’en pleine conférence de presse consacrée ce 8 septembre au bilan de la rentrée scolaire, on se sent comme téléportés aux Galeries Lafayette. Costards pas chers ! Rodrigo Arenas, le président de la FCPE, la principale fédération des parents d’élèves du public, rhabille pour l’hiver toute l’Education nationale et, en premier lieu, son chef, Jean-Michel Blanquer. « Ça suffit de ces annonces vulgaires ! Soit ce sont des irresponsables, soit ce sont des incapables ! » lance-t-il, avec le débit d’une machine à coudre en surrégime.
L’anecdote fait rire un de ses copains. « Il est comme ça, Rodrigo, c’est un Latin! Il a des convictions! » Depuis deux ans à la tête de la FCPE, Arenas, 46 ans, père de quatre garçons, lâche ses coups à l’oral, et désormais à l’écrit. Fraîchement reconduit au congrès de la fédération, en campagne pour les élections de délégués de parents d’élèves, qui se tiennent ce vendredi 9 et samedi 10 octobre partout en France, il vient de publier avec deux coauteurs Edouard Gaudot et Nathalie Laville, « Dessine-moi un avenir », (Ed. Actes Sud, 120 p. 16 euros), un plaidoyer pour une « école- logis ».
Le jeu de mots est transparent : avant d’être le porte-flingue nerveux des parents d’élèves, ce fils de réfugiés chiliens, élevé dans les barres de la banlieue rouge pendant les années 1980, a fait ses armes idéologiques chez les communistes, puis avec les Verts. Il n’a plus sa carte, mais toujours des convictions, plaide-t-il, ainsi qu’une poule dans le jardin de son pavillon de Sevran en Seine-Saint- Denis, dans cette lisière de la grande banlieue où les lotissements poussent en bordure de champs.
Il assume de «faire de la politique, du lobbying»
Candidat permanent, Arenas l’est assurément. Au ministère de l’Education nationale, on a même épluché récemment les statuts de la FCPE pour vérifier si l’apparition de son nom sur une liste aux régionales serait compatible avec son job associatif. Ça l’est. Mais il n’ira pas. « Je suis contre le cumul des mandats et ce qu’on a engagé ici, à la FCPE, est trop important, je ne trahis pas les gens que j’emmène dans les bagarres », assure Arenas, calé dans son salon, semblable à celui de tant de familles. On y trouve des Lego, des magnets sur le frigo, des petits traits au crayon sur l’encadrement de la porte de la cuisine, témoins du temps qui passe sur les enfants qui grandissent. A la rentrée, l’aîné est entré au lycée, le cadet au CP.
« Je suis un simple parent d’élève », commence-t-il souvent, avant de dérouler ses punchlines,
patinées par « l’art de la vanne » des cités, et plus travaillées qu’il n’y paraît. « Je mets les mots pour que ce soit compris du grand public. Il ne faut pas prendre les gens pour des cons. Tous les matins, je pose mes gamins à l’école à 8h20 et on fait le tour de l’actualité. Je passe ma vie à ça », raconte-t- il, assumant totalement de « faire de la politique, du lobbying » à la FCPE, au motif que « l’école, c’est la République » et que tous les sujets de société finissent par y entrer.
Son engagement dans l’éducation, il le date des repas en famille avec ses parents, devenus éducateurs spécialisés après le déclassement de l’exil − au Chili, ils étaient sociologue et directrice de crèche. « Quand j’écoutais mes parents, ça me donnait des clés pour comprendre comment mes copains de la cité, un à un, se faisaient éjecter du système scolaire, explique Arenas. Dire que si on fait tout bien, on ira à la fac, ce n’est pas vrai. Il faut connaître les codes. » Lui y est allé, à la Sorbonne. Il a forgé « des armes pour construire sa pensée », sans achever sa thèse sur la planification économique.
«Rodrigo, il est capable de mettre le feu»
« Il a un bagage et il est très politique, c’est sa principale qualité : avoir des gens qui savent remettre les choses en perspectives, pour qu’on comprenne mieux où on est, c’est devenu rare », loue Stéphane Gatignon, l’ancien maire (EELV) de Sevran, qui a pris Arenas sous son aile politique en Seine-Saint-Denis avant qu’ils se séparent il y a quelques années, « pas fâchés, mais, vous comprenez, chacun vit sa vie… »
D’autres compagnons de route gardent des souvenirs nettement moins amènes. « Rodrigo, il est capable de mettre le feu, je suis bien content qu’il ne soit plus chez nous », souffle, sous couvert d’anonymat, un militant d’Europe Ecologie-les Verts. « A la FCPE, il a bousculé plein de vieux militants qui attendaient leur tour, et pourquoi? Pour faire des coups », poursuit le même, avec en tête la polémique sur le foulard relancée en 2019 par une affiche de la FCPE, montrant une mère voilée avec ce slogan : « Oui, je vais en sortie scolaire, et alors? »
Un autre militant persifle : « Il a trouvé la FCPE pour exister, dans les partis il est grillé. » L’intéressé, en miroir, juge les appareils « en retard » et étriqués. « C’est dans la société civile que ça se passe maintenant! » Et en Seine-Saint-Denis particulièrement pour Arenas, qui a assis son pouvoir dans ce département et y possède de solides appuis, ainsi que son emploi, chargé de mission pour le conseil départemental depuis 15 ans.
«C’est comme un père pour nous»
Hanaine Ben Hadj, la présidente de l’union locale FCPE de Villepinte, a appris le militantisme à ses côtés. « Maintenant, je sais où il faut taper pour avoir gain de cause, se félicite-t-elle. Et dès qu’on est confrontés à un mur, il fait du mieux qu’il peut pour aider. C’est comme un père pour nous. »
Après une première tentative infructueuse, Rodrigo Arenas a ravi en 2018 la tête de la fédération nationale, au prix d’une coprésidence partagée avec une autre élue de banlieue parisienne, Carla Dugault, venue de l’Essonne et bien plus discrète publiquement. « C’est une somme d’intérêts bien compris, mais c’est Rodrigo Arenas qui a le pouvoir, et qui joue à fond la carte du clivage », analyse un fin connaisseur du monde scolaire.
Il juge l’homme « habile », mais sa présence nerveuse n’a pas encore permis d’endiguer la lente érosion qui grignote chaque année les fédérations de parents d’élèves, au profit de listes indépendantes et de collectifs moins structurés. Aux dernières élections, l’association, qui reste la première en France, n’a engrangé que 11 % des voix dans le primaire, et 40 % dans les collèges et lycées. C’est environ quatre et six points de moins qu’en 2013.