Voilà un mois maintenant que le Covid-19 s’est installé chez nous ; et deux semaines que dans une ambiance martiale étrangement inadaptée à la situation, nous nous retrouvons confinés chez nous. Certes, cette crise sanitaire a surpris tout le monde, à tort ou à raison, désorganisant notre quotidien de parents, d’élèves et d’enseignants.
Mais si la surprise et le tâtonnement qui en résulte sont relativement compréhensibles, les déclarations contradictoires et surtout les faux-semblants de Jean Michel Blanquer le sont moins. Alors que le scénario d’un retour à l’école pour le 4 mai reste complètement hypothétique à ce jour, nous trouvons déplacé que le ministre laisse sous-entendre que la situation serait sous contrôle. Et nous l’invitons d’urgence à prendre conscience de ces nombreuses incohérences et inconsistances qui soulignent le contraire.
Dès les premiers signes, comment pouvait-il prétendre endiguer l’épidémie à l’école en demandant aux enfants de se laver les mains dans des toilettes sans savon ni serviette, dans des locaux trop souvent en deçà des exigences minimales d’hygiène.
Comment peut-il continuer de prétendre qu’il est possible d’assurer la continuité pédagogique sans dispositif adapté, sans enseignants formés aux nouvelles technologies, entre zones blanches, fracture numérique et illettrisme technologique des familles. Et qu’en est-il de ces familles dont les parents travaillent malgré la crise, ou celles dont les enfants sont porteurs d’handicap, ou encore ces enfant dont les parents sont allophones, ou simplement démunis face à l’institution scolaire ?
Comment peut-il imaginer que nos enfants seront évalués et les examens tenus, malgré tout ? Comment peut-il à ce point ignorer qu’une « notation égalitaire » ne peut pas corriger des conditions inégalitaires, et qu’elle en renforce d’autant plus les effets ?
Il est temps d’arrêter de faire semblant que ce n’est qu’une parenthèse, une simple crise sanitaire qui nous met juste en retard dans le calendrier scolaire. Elle pose des questions radicales et remet en cause notre modèle éducatif – et social. Alors que tout nous invite justement à prendre la mesure de cette expérience et à en tirer les conclusions qui s’imposent.
D’abord que le service public de l’éducation est à la fois fondamental et structurant, et qu’il est vital d’inverser la tendance décennale aux fermetures de classes et d’écoles, aux cantines payantes, aux établissements sous-dotés.
Ensuite que le numérique n’est pas juste un gadget d’équipement, mais une autre façon d’aborder le savoir et l’enseignement. Cette crise aura effectivement révélé dysfonctionnements et manques, mais au moins, notre école qui traînait des pieds pour se mettre au numérique, a dû s’y mettre en urgence. Et repenser ses messages. Après l’injonction autoritaire à ne plus utiliser les smartphones, voilà qu’il faut les rallumer immédiatement. Cet outil qui était pédagogiquement anecdotique, et même nuisible, devient tout à coup central. Quels usages et quels outils numériques allons-nous retirer de cette expérience ?
Ferons-nous là encore semblant que rien n’a changé ? Ce monde est un monde de liens et d’interdépendances – et il est mouvant, fragile et difficile à appréhender. Les contenus et les méthodes de notre école appartiennent à un monde révolu. Malgré ses héros du quotidien, enseignants et personnels éducatifs, l’école française reste prisonnière de ses fictions fondatrices de méritocratie s’accommodant des inégalités sociales et de ses représentations dépassées de la réussite.
Enfin, cette disruption dans les examens et les processus d’évaluation devrait fournir une occasion de réfléchir en profondeur sur leur sens. Que contrôlent les notes aujourd’hui, sinon une forme d’érudition et de conformité au modèle ? Puisque le confinement nous y invite, pourquoi ne pas renforcer l’apprentissage de l’autonomie des élèves, comme des chercheurs sous la direction de leurs enseignants ?
En somme, profitons plutôt de cette pause pour réfléchir en profondeur à l’école que nous voulons pour nos enfants, au moment charnière ou le 21e s’y est engouffré.
Entre temps, pour arrêter de faire semblant, quelques mesures de bon sens s’imposent : cesser de noter les enfants pendant le confinement, car on ne peut pas les évaluer comme s’ils étaient en classe. Cesser de prétendre qu’il y a « continuité pédagogique » et qu’ils vont passer le baccalauréat, ou que d’hypothétiques stages d’été vont tout rattraper.
Car ces annonces irresponsables aggravent les tensions dans les familles qui n’ont d’autre choix que de vouloir être à la hauteur de cette ambition affichée par le ministre, et renforcent les inégalités territoriales et sociales entre élèves. Comment imaginer que tous les parents sont égaux pour soutenir leur enfant en lieu et place de leur enseignant ? Il est temps de cesser de faire semblant de croire à l’égalité républicaine – pour la mettre en place réellement.
A un moment où la puissance publique se révèle à nouveau comme seule garante de l’intérêt général, il faut cesser de faire semblant de vouloir sauver le service public, tout en favorisant le privé. Comme cela a été le cas quand le gouvernement a choisi de rendre obligatoire la scolarisation des enfants dès 3 ans, permettant ainsi la prise en charge par les communes du développement des écoles maternelles privées. Ce qui est vrai pour les hôpitaux et la police, l’est aussi pour l’école qui a besoin elle aussi de moyens renforcés : le service public est universel, et cet universel est la réponse collective au besoin de solidarité. Pour que l’école fasse système pour tous, elle doit se réinventer, se construire à partir des plus fragiles pour inclure aussi les plus forts. Et non pas l’inverse.