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LE MONDE D’APRÈS. Le coprésident de la principale fédération de parents d’élèves (FCPE), Rodrigo Arenas, répond au questionnaire du philosophe Bruno Latour : qu’est-ce qu’on jette ? Qu’est-ce qu’on garde ? Qu’est-ce qu’on invente ?

Interview Par Gurvan Le Guellec

Quelles sont les façons de faire d’avant le confinement qui devraient être transformées ? Et que doit-on faire pour encourager ces changements?

S’il y a un comportement que j’aimerais voir disparaître de nos écoles, c’est le mépris ou au mieux l’invisibilisation dont souffrent les personnels techniques. A la rentrée, quand les chefs d’établissement présentent les équipes aux familles, ils citent les enseignants, les CPE, éventuellement les infirmières, mais jamais ceux qui nettoient, nourrissent, entretiennent. Comme s’ils ne faisaient pas partie de la communauté éducative. On en voit hélas les conséquences tous les jours. Beaucoup de gamins ne respectent pas l’espace collectif, considérant que les petites ou grandes dégradations qu’ils commettent seront réparées comme par miracle. En temps normal, c’est déjà problématique d’un point de vue sanitaire, mais en période de pandémie, cela devient carrément rédhibitoire.

Le problème c’est que ces travers ne viennent pas de nulle part. Notre école est un temple du savoir abstrait, de l’érudition, qui nie à la fois le rapport au corps et la dignité du travail manuel. On le voit dans ce scandale très français des sanitaires scolaires – dont tout le monde déplore l’état mais dont personne ne se préoccupe – mais aussi dans la manière dont est traitée la voie professionnelle par l’institution. Au lieu de répéter comme un mantra qu’il s’agit d’une voie d’excellence, sans rien faire de concret pour que les choses aillent en ce sens, exprimons par nos attitudes, par nos comportements, tout le respect que nous avons pour ces métiers techniques et manuels qui, ces deux derniers mois, ont permis au pays de tenir debout. Pour dire les choses de manière plus brutale : il faut en finir avec le mépris de classe au sein de notre école.

Quelles sont les nouvelles façons de faire apparues pendant la crise du Covid-19 dont vous souhaiteriez qu’elles se développent ? Et comment assurer ce développement?

L’école française est une école de la verticalité. C’est vrai des pratiques du ministère qui infantilise les enseignants. Mais aussi des pratiques des enseignants qui n’ont de cesse de trier et de hiérarchiser les élèves. Le confinement a montré combien ce mode de fonctionnement pouvait être nocif. Sans contrainte scolaire, des centaines de milliers d’enfants et d’adolescents n’ont plus donné signe de vie parce que l’école, tout simplement, ne sait pas les intéresser. Mais le confinement a également montré qu’il était possible de procéder autrement. Des élèves se sont entraidés, des enseignants sont sortis de leur isolement professionnel, des élèves ont étonné leurs professeurs par leurs capacités d’autonomie, et des professeurs ont surpris leurs élèves par leurs facultés d’adaptation.

Pendant ces deux mois, tout n’a pas été parfait, mais on ne peut pas nier qu’il y a eu un immense élan coopératif, inédit dans l’Education nationale. Cet élan, on doit absolument capitaliser dessus. Et, pour ce faire, il ne faut pas un énième Grenelle mais un pouvoir politique qui se mouille : initier des classes multi-niveaux où les enfants apprennent autant avec le professeur qu’avec leurs pairs, mêler les disciplines manuelles et intellectuelles, fusionner les voies professionnelles et générales au lycée ou encore introduire le droit et la philosophie dès le plus jeune âge. Cela ne se mettra pas en place du jour au lendemain, mais je suis persuadé que, sur le temps long, avec une volonté forte au niveau de l’exécutif, il est possible d’inverser la grammaire de l’école en faisant en sorte qu’elle s’adresse d’abord aux élèves en situation de fragilité structurelle ou conjoncturelle plutôt qu’à une petite élite d’enfants bien nés. Tous les élèves gagneraient à ce changement de paradigme. Une école qui se donne pour objectif d’inclure le plus grand nombre est par construction dans le souci de chacun. Une école du tri social est en revanche dans le déni de l’individualité.

Quelles sont les nouvelles façons de faire apparues pendant la crise du Covid-19 dont vous ne souhaiteriez PAS qu’elles se développent ? Et que proposer d’autres ?

Quand on écoute le ministre et son conseil scientifique, il semblerait que les principaux enseignements à tirer de cette crise soient à rechercher du côté des technologies de l’éducation. Des états généraux du numérique éducatif seront d’ailleurs organisés à la rentrée. Je ne nie pas que le numérique a démontré certaines vertus pendant cette période de confinement, mais il faut plus : une réflexion collective sur les finalités de l’école et, partant de là, un vrai projet éducatif pour la France. On ne peut pas se contenter de rhabiller l’existant, façon Grand Meaulnes avec un Ipad comme le propose M. Blanquer. Je suis par ailleurs très soucieux de la manière dont les données personnelles des élèves pourraient être exploitées afin de renforcer encore le tri scolaire. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un big data ministériel, a fortiori s’il est géré par les Gafam, mais de logiciels open source développés établissement par établissement en s’adaptant aux besoins de chaque enseignants et en s’appuyant sur des prestataires locaux. Nos villes et nos quartiers regorgent de développeurs talentueux qui, ceci dit en passant, ont souvent développé leurs compétences en dehors du cadre scolaire. C’est à eux qu’il faut faire appel. J’entends bien que cela n’est pas dans la tradition jacobine de l’Education nationale. Mais, on en revient à mon développement précédent : l’école de l’après-Covid devra être horizontale et coopérative. Il n’y a pas d’autre alternative.

Quelles sont enfin les nouvelles façons de faire dont nous aurons besoin dans le monde de demain ?

La crise actuelle nous fait redécouvrir une évidence : le soin de soi et le soin de l’autre ne sont pas des luxes ou des vertus, mais des nécessités. Ce constat doit nous amener à repenser le contenu de nos enseignements. Lire, écrire, compter, connaître la Marseillaise, c’est très bien, mais l’école doit aussi protéger, éduquer au respect, au rapport au corps, amener à réfléchir au sens de la vie et permettre à chaque futur citoyen de connaître ses droits et ses devoirs. Si on explique aux gamins qu’il est strictement interdit de toucher les fesses de leur voisine, avec un peu de chance, ils ne le feront pas plus tard dans le métro. Si l’on permet aux jeunes filles de ne pas vivre leurs règles comme une maladie ou pire comme un péché, nous aurons fait un grand pas en direction d’une égalité réelle filles-garçons. Si les cantines deviennent gratuites, il sera possible d’apprendre à bien manger collectivement, en respectant son corps et les différences de croyances, qui nous distinguent mais ne doivent pas nous empêcher de faire société. Si, enfin, on développe chez les enfants un rapport préventif et non pas médicalisé à leur corps, on n’aura plus besoin de leur répéter de se laver les mains 40 fois dans la journée.

Cette dimension éducative existe aujourd’hui mais elle relève trop de l’initiative individuelle. Dans notre monde de l’après-Covid, il faut qu’elle fasse système, qu’elle soit promue et enseignée. La République, ça s’apprend, ça n’est pas qu’une question de proclamation.